Écrire sur la parole en
éducation physique et sportive (EPS), c'est chercher à relever ses fonctions,
sa nature, ses formes... C'est aussi examiner les effets que celle-ci peut
générer, tant au niveau des élèves que des professeurs. Ces effets peuvent
revêtir des formes différentes, de la simple interrogation silencieuse
(" que veut-il me dire ? ") jusqu'à la réaction
épidermique, en passant par bien d'autres gammes de réactions...
Dans cet article, la parole sera abordée de différentes façons : d'abord comme étant à l'origine apparente du conflit, puis comme devant être une aide à la gestion de ce conflit. Il s'agira de décrypter plusieurs exemples, en se basant sur des démarches qui aideront à établir des hypothèses.
Dans cet article, la parole sera abordée de différentes façons : d'abord comme étant à l'origine apparente du conflit, puis comme devant être une aide à la gestion de ce conflit. Il s'agira de décrypter plusieurs exemples, en se basant sur des démarches qui aideront à établir des hypothèses.
La parole peut générer un conflit
L'expérience d'un conflit
Un professeur intervient,
lors d'une leçon de volley-ball, auprès d'un groupe d'élèves. Il les fait s'interroger sur leur activité en
rapport avec l'objectif visé. Un dialogue prolongé s'instaure plus précisément
avec un des élèves.
Un autre élève du groupe
interpelle alors l'enseignant : " C'est nul ! Quand est-ce
qu'on joue ? ". Surpris, le professeur réagit en se justifiant.
Dans le même moment, le premier élève agresse verbalement l'élève
" perturbateur ".
Hypothèses explicatives
Communiquer, c'est établir des relations
Adresser la parole à
quelqu'un ne se résume pas à des mots qui passent d'un émetteur à un récepteur
à partir d'un code commun.
L'école de Palo Alto s'est
intéressée à la problématique de la communication en complexifiant ce modèle.
Elle s'appuie sur quelques principes fondamentaux :
==> La
communication est un phénomène interactionnel dans lequel l'unité de base est
moins l'individu (comme pour le modèle de la psychologie traditionnelle) que la
relation qui se noue entre les individus.
Ainsi, dans cet exemple, ce
n'est sans doute pas le contenu mais la relation nouée entre le professeur et
l'élève " intéressé " qui pousse l'autre élève à perturber
cet échange.
==> La
communication est un processus circulaire dans lequel chaque message provoque
un effet sur l'interlocuteur, ce qui déclenche un feed-back.
Le message du professeur a
un effet positif sur l'élève " intéressé ". Par contre,
l'intervention de l'élève " perturbateur " a un effet
négatif sur le professeur et sur l'autre élève qui entretiennent une relation
privilégiée allant au-delà du simple échange d'informations. Celle-ci provoque
un effet sur le groupe et plus particulièrement sur l'élève
" perturbateur " qui a sans doute (c'est une hypothèse)
voulu " casser " cette relation.
==> Tout message
comprend deux niveaux de signification ; il transmet non seulement un
contenu informatif (faits, opinions, sentiments... du locuteur), mais aussi un
mode de relation qui lie les interlocuteurs.
En résumé, on peut avancer,
avec l'école de Palo Alto, que tout comportement a valeur de message et qu'on
ne peut détacher ce comportement de son contexte.
Il convient donc, lors de
toute intervention, de tenir compte du contexte, des interactions et des enjeux
qui se nouent. Les échanges avec les uns ne peuvent se faire sans le contrôle
des autres. Sinon, le risque est grand de provoquer la réaction d'un élève
insatisfait par la situation qu'il perçoit comme négative.
La notion de " place " dans les relations interpersonnelles
" À travers la
communication, chacun vise à une certaine place, mais assigne aussi à son
interlocuteur une place corrélative qui complète, renforce et justifie la
sienne [...]. Les interlocuteurs peuvent accepter et entériner cette place
(parce qu'elle les valorise, parce qu'ils y trouvent un intérêt, parce qu'ils
n'ont pas le choix). Mais ils peuvent aussi la contester et tenter d'établir un
autre rapport ".
Les
rapports de place résultent d'une triple détermination:
·
la détermination sociale,
·
la détermination interactionnelle,
·
la détermination subjective.
L'analyse
de cette triple détermination est fondamentale pour comprendre les mécanismes
de communication en général et le conflit en volley-ball en particulier (voir
schéma ci-dessous).
La
conduite d'un professeur ou d'un élève... est parfois surprenante. Le caractère
excessif ou au contraire " laxiste " de leur réaction peut
étonner ou irriter. L'explication est à rechercher dans le croisement,
l'enchevêtrement de ces trois déterminations :
·
" La détermination sociale est celle
des statuts et des rôles proposés par la culture et les institutions d'une
société : homme / femme, adulte / enfant, employeur / employé, médecin /
malade... "3 et
donc professeur / élève.
·
La détermination interactionnelle est sans
doute la plus directement " palpable " puisqu'elle est au
coeur de la situation. La position de l'enseignant se définit par rapport à
celle de l'élève et vice-versa. Toute attitude qui ne serait pas en rapport
avec cette " logique " pourrait surprendre, voire irriter.
·
La détermination subjective
" correspond aux stratégies identitaires de chacun, dépendant de la
représentation que le sujet a de lui-même, de son estime de soi "3. Elle renvoie à l'histoire, au vécu de l'individu. Le passé
vient alors " submerger " le présent. L'éducation, les
influences, les frustrations... poussent à des réactions parfois peu
intelligibles pour les autres personnes et, notamment, pour la personne en
interrelation. Ceci est remarquable dans le cas de réactions violentes (physiques
ou verbales) d'un individu. La violence de relations vécues dans son enfance
(avec son père, sa mère, un frère...) fera ressurgir en lui la nécessité de
résoudre le problème présent par ce type d'actions. Mais cela ne s'arrête pas
aux réactions violentes. Toutes les façons d'agir sont imprégnées de cette
construction progressive.
Bien souvent, la stratégie
identitaire de l'un ou de l'autre est à la source d'une erreur de
positionnement entre un professeur et un élève. La parole est alors
l'expression de la contestation de la place assignée à l'autre.
Dans d'autres cas, les
stratégies identitaires sont à l'origine d'un positionnement de l'autre,
contesté par celui-ci. La parole est alors l'expression de cette contestation.
La parole peut aussi gérer le conflit
Du conflit à sa résolution : confrontation entre un professeur et un élève
Dans un gymnase, à la fin
d'un cours, un enseignant demande à un élève qui s'est déjà changé au lieu de
ranger le matériel, de récupérer plusieurs plots laissés dans la salle.
Parallèlement, il gère la sortie des vestiaires des autres élèves.
Le professeur s'aperçoit
que l'élève, au lieu de faire ce qui lui est demandé, se dirige vers la sortie,
comme s'il n'avait rien entendu.
" Dis donc, tu as
compris ce que je t'ai demandé ? " L'élève continue son chemin.
D'un ton menaçant : " Je te donne cinq secondes pour ramasser
les plots ! ". L'élève réagit alors violemment :
" Il n'est pas question que je le fasse. Ce n'est pas à moi de le
faire ! ". L'enseignant, d'un ton énervé, réplique :
" Non seulement tu te dispenses de participer au rangement, mais tu
refuses aussi de faire ce que je te demande. Si tu ne fais rien, ça se termine
au bureau de la vie scolaire ! Je commence à compter : 1 - 2 -
3 ". L'élève défie le professeur et ne bouge pas.
Se rendant compte de
l'impasse dans laquelle ils se trouvent tous les deux, l'enseignant change
alors de ton. Calmement : " Tu faisais partie du groupe chargé
de ranger aujourd'hui le matériel. Tes partenaires l'ont fait. Toi non. Je t'ai
simplement rappelé ce que tu avais à faire. Il serait dommage que
l'établissement te sanctionne pour si peu ".
L'élève est alors
déstabilisé par ces nouvelles paroles et hésite. Des camarades ayant assisté à
l'altercation l'incitent alors à faire ce que le professeur lui demande. Et
l'élève s'exécute.
Hypothèses explicatives
Dans cet exemple, il
convient de s'interroger sur les raisons qui ont pu pousser l'élève à changer
ainsi d'attitude. L'analyse transactionnelle (A T) peut nous apporter un
éclairage intéressant.
L'analyse transactionnelle
est une méthode devant " permettre à chacun de comprendre les
mécanismes et les rouages de sa propre personnalité (l'analyse) et de repérer
la manière dont il négocie ses relations avec les autres (la transaction) ".
Pour
Éric Berne, son fondateur, chaque personnalité est composée de trois états du
moi : le système P (ou parent), le système A (ou adulte) et le système E
(ou enfant). Chaque état du moi est un système d'attitudes et de comportements
lié aux différentes étapes du développement d'un individu. " Ces
trois états sont utilisés alternativement dans nos relations pour établir des
transactions positives ou négatives. Ils sont en dialogue constant et le
passage de l'un à l'autre peut être rapide. Les systèmes P et E ont des aspects
positifs et négatifs. Le système A, au contraire, est considéré comme
positif ".
Dans notre exemple, lors de
sa première réaction, l'enseignant se positionne en tant que " parent
persécuteur ". Il utilise un ton très sec et des mots excessifs. Tout
naturellement, l'élève s'ajuste et se place en tant qu'" enfant rebelle ",
avec des paroles insolentes. Dans un deuxième temps, le professeur, souhaitant
sortir de cette impasse, reprend son calme. Il se positionne différemment, en
tant qu'adulte réaliste et logique, avec une voix posée et des mots reprenant simplement
des faits précis et leur conséquence. Il relativise ainsi le problème. L'élève
prend en compte différemment ces nouvelles paroles et ajuste à son tour son
comportement. Incité de plus par ces camarades, il accepte de faire ce que
l'adulte lui demande.
La parole reflète donc bien
la personnalité de chacun avec ses différentes facettes et la manière dont est
perçue la négociation avec l'autre.
Conclusion
À travers ces deux exemples
du quotidien d'un professeur d'EPS, apparaît la nécessité de mesurer les effets
provoqués par la parole. Selon les situations, un même effet peut déranger une
personne et pas une autre. Les conséquences de la parole, qui peuvent aller
jusqu'au conflit, dépendent de l'état de la personnalité de chacun, des
relations interpersonnelles établies (guidées par le vécu de chacun) dans un
cadre porteur de symboles.
Cependant, une parole
adaptée doit aussi prévenir l'apparition du conflit ou le gérer quand il est
installé. C'est affaire de professeur, mais d'élève également.
D'autres
éclairages existent. Ceux qui ont été choisis ici peuvent aider à prendre du
recul dans des situations conflictuelles, en évitant de réagir à des paroles
impulsives différentes par des moyens identiques.Joël Guillou,
Catherine Le Corguillé.
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